Se rire : raison de ne pas accorder le participe passé

On trouve à peu près partout la préconisation de ne jamais accorder le participe passé du verbe « se rire » : elles se sont ri des difficultés. Cela est présenté comme une exception, mais sans aucune justification.
Ce verbe intransitif est pourtant un prototype du verbe essentiellement pronominal dans lequel le participe doit s’accorder.
Je recherche donc l’origine, la raison et l’intérêt d’une telle anomalie. Merci par avance aux fins limiers du site…

Chambaron Grand maître Demandé le 14 juillet 2019 dans Accords

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5 réponse(s)
 
Meilleure réponse

Bonjour Chambaron,

Une raison étymologique est avancée ici : https://books.google.fr/books?id=bFwNXBUDZpoC
« Lemare […] dit : Plaire et rire viennent des verbes latins placere, ridere, qui sont suivis d’un datif, sibi placere, sibi ridere. On peut en effet se plaire à soi-même, se rire à soi-même comme à un autre : il plaît à tout le monde, tout lui rit. Ainsi, elles se sont ri de vos reproches, signifie qu’elles ont ri à soi ou en soi de vos reproches. »

Juliette31 Maître Répondu le 14 juillet 2019

Intéressant.

le 15 juillet 2019.

@Juliette31 : Bravo ! Découverte vraiment  intéressante que ce texte de 1838.  Moins à cause de l’étymologie elle-même que grâce aux longues explications fournies. L’auteur justifie l’invariabilité par le sens puisqu’il soutient que « se rire » signifie « rire à soi-même » (le pronom étant COI).  On pourrait donc aussi selon ce raisonnement « rire à quelqu’un ».
Sans doute s’agissait-il là d’une tournure ancienne et qui posait déjà problème selon les premières lignes de sa note. De nos jours, ce sens a totalement disparu, laissant l’absence d’accord sans aucune justification.
Cela répond en tout cas à  ma recherche de l’origine. Quant à l’invariabilité, elle est bien périmée et l’accord se justifierait par cohérence avec la règle.
Pour se plaire et se complaire  la question est différente car il s’agit pas d’exceptions :  le pronom est bien COI et le sens n’a pas varié.

le 16 juillet 2019.

Merci à tous pour vos recherches . La réponse de Juliette31 met bien sur la piste des cautions données à cette exception. Cela m’a permis de prolonger sur un ouvrage antérieur sans doute plus influent, une grammaire de Marmontel, encyclopédiste proche de Voltaire et académicien de renom.  Ci-joint un accès direct à une réédition de 1819.
On pourra « admirer » la démonstration selon laquelle on ne peut accorder le participe puisque cela créerait un barbarisme. C’est un peu comme si on affirmait que l’on ne peut employer un mot car il n’a pas encore été employé…

Chambaron Grand maître Répondu le 16 juillet 2019

Bonjour Chambaron,

Je partage totalement votre avis car je me suis déjà posé la même question. Perso, j’accorde le participe passé de se rire par analogie à se marrer car c’est exactement la même construction et je n’aime pas les incohérences.

Je vous fais un copier-coller de la réponse que m’avait faite Christian à la que j’avais posée précédemment à ce sujet. Je la trouve fort pertinente :

“Effectivement, je ne vois pas de justification valable autre que l’usage. La construction est exactement la même (et le sens très proche) de ils se sont joués de nous par exemple qui lui s’accorde normalement. Certes, on ne rit pas quelqu’un (donc pas soi-même, en particulier), mais on ne joue pas non plus quelqu’un (pas plus qu’on ne marre quelqu’un). Se rire devrait donc être considéré comme essentiellement pronominal, mais alors pourquoi ne pas faire l’accord ? Remarquez qu’on retrouve la même bizarrerie dans ils se sont arrogé le droit de… (essentiellement pronominal sans accord), c’est pourquoi je pencherais pour une règle d’usage, sans logique ou justification particulière.”

Christian justifie donc l’invariabilité par l’usage. Moi je vous propose un revirement de jurisprudence, et dès lors de faire l’accord ! 🙂

Tony Grand maître Répondu le 14 juillet 2019

Merci Tony. « S’arroger » est une anomalie en effet, mais d’une autre nature (ce n’est pas mon sujet du jour).
L’usage ne joue pas ici car le verbe est très ancien et les grammairiens semblent avoir toujours cautionné cette invariabilité.
Je cherche quand et pourquoi on a préconisé puis entériné cela.

le 14 juillet 2019.

Au temps pour moi, Chambaron ! Je ne puis vous répondre sur ce point, mais je vais donc poser la question à l’Académie française, peut-être aurai-je une réponse plus éclairée à vous apporter.

le 14 juillet 2019.

Ce qui m’intéresse aussi. Je me demandais cela ce matin-même!
Merci pour la question et pour ces réponses, Chambaron et Tony.

le 14 juillet 2019.

Décidément, on s’est tous posé la même question. Je vous en prie, Tara ! 🙂

le 14 juillet 2019.

Tony, comme c’est mignon, vous recommencez à exprimer vos propres règles (« perso, j’accorde le participe passé de « se rire »...) sur un site d’orthographe qui essaie d’être sérieux et de donner des références. La demande de Chambaron relève de l’histoire de la langue et non de nos avis, us et coutumes ou encore idiomes. Restez calme et respirez à fond, je sais que vous pouvez répondre très gentiment ! 

le 14 juillet 2019.

Merci, Joelle ! Cependant, vous reconnaîtrez que mes réponses sont quasi tout le temps référencées. Je me suis juste permis de donner mon avis ici. 🙂

le 15 juillet 2019.

C’est vrai – et notamment les contacts avec l’Académie !

le 15 juillet 2019.

Chambaron, il doit y avoir quelque chose qui m’échappe car vous avez écrit à propos de « se rire » : Ce verbe intransitif est pourtant un prototype du verbe essentiellement pronominal dans lequel le participe doit s’accorder.
– Il me semble que le verbe existe aussi à la forme non pronominale et qu’il rejoint dans le non-accord d’autres verbes qui n’ont pas de COD comme se succéder, se suffire, se sourire, se convenir et se plaire (j’en oublie).
– en effet, l’origine étymologique mentionnée par Juliette semble logique car « elles se sont ri de … » n’est pas un essentiellement pronominal et le sens n’est pas réfléchi, car elles ne rient pas elles-mêmes : il n’y a pas de COD. En tout cas, je suis contente d’apprendre cette origine même si ce n’est pas la seule raison (je ne suis pas apte à en juger) car il me paraissait difficile de justifier cette invariabilité. Par conséquent, il ne serait pas un « pronominal autonome » ou « essentiellement pronominal » dans ce sens car « se rire » aurait bien le sens de rire (s’amuser) et non de se moquer (critiquer). Bon, ce sont des hypothèses…ce n’est pas officiel. 

joelle Grand maître Répondu le 14 juillet 2019

@Joëlle : « Se rire » (se jouer de, ignorer) est bien un verbe essentiellement pronominal, car employé sans pronom il a d’autres sens. De plus il est incontestablement intransitif, ce qui évite les confusions.
Bref, cela n’explique en rien l’invariabilité. L’étymologie n’a ici qu’un intérêt secondaire car il s’agit de grammaire, discipline dont les règles ont été fixées bien ultérieurement.

le 15 juillet 2019.

Bonjour,

La question de l’accord des verbes employés à la forme pronominale se pose pour les temps composés des modes verbaux. La forme adjective du verbe obéit à des règles d’accord spécifiques, qui varient selon la valeur d’emploi de la forme pronominale.

A ─ Le pronom réfléchi est analysable.

L’accord de la forme adjective du verbe est suspendu à l’ analyse de la fonction du pronom.

► Le pronom est C.O.D. du verbe à la forme pronominale :

La forme adjective s’accorde s’accorde obligatoirement avec le C.O.D. , prenant le genre et le nombre du nom représenté par le pronom.

Elle s’est coiffée.
Ils se sont connus lorsqu’ils étaient jeunes.

► Le pronom n’est pas C.O.D. du verbe à la forme pronominale.

La forme adjective reste invariable.

• Soit que le pronom occupe par rapport au verbe à la forme pronominale une autre fonction .

Ils se sont acheté une nouvelle voiture ─ Ils ont acheté une nouvelle voiture à eux-mêmes : C.O.I.

• Soit qu’il ne dépende pas de ce verbe, étant alors C.O.D. du verbe à l’infinitif.

Elle s’est vu insulter publiquement ─ Elle a vu qu’on insultait elle-même.

B ─ Le pronom réfléchi n’est pas analysable.

La forme adjective s’accorde avec le sujet du verbe à la forme pronominale : cette règle est constante pour les pronominaux à sens passif.

Dix mille exemplaires de ce livre se sont vendus cette année.

Elle concerne également les pronominaux lexicalisés : c’est le cas des verbes essentiellement pronominaux :

Elle s’est évanouie dans la rue.
Les Romains se sont emparés de la Gaule.
Elles se sont abstenues d’en parler.

Pour les autres verbes où existe une forme non pronominale, mais avec un autre sens, on signalera deux exceptions à cette règle d’accord : avec se rire et se plaire, se complaire à, se déplaire, la forme adjectivale reste invariable.

Ils se sont plu à me contredire.
Elles se sont ri de mes projets.

czardas Grand maître Répondu le 15 juillet 2019

@czardas :
Certes, mais quelle est la raison de l’exception pour « se rire » ? C’est ma question…

le 16 juillet 2019.

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