Les exceptions de la double pronominalisation
Bonsoir, je suis enseignant de français (en tant que langue étrangère) depuis près de vingt ans et je viens de tomber sur un (double) os au sujet de la double pronominalisation. Les phrases que je vais donner en exemple proviennent de la méthode Alter Ego chez Hachette, niveau B2, p. 115 ; il s’agit de reformuler les phrases en utilisant deux pronoms compléments :
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- Les critiques se sont excusés d’avoir blessé les artistes.
Correction personnelle : Les critiques s’en sont excusés.
- Les critiques se sont excusés d’avoir blessé les artistes.
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- La justice a interdit à l’humoriste de jouer son spectacle.
C. P. : La justice le lui a interdit (je crois n’avoir jamais lu ni entendu « la justice lui en a interdit », mais j’accepte la contradiction).
- La justice a interdit à l’humoriste de jouer son spectacle.
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- L’artiste a autorisé l’antiquaire à vendre ses tableaux.
C. P. : L’artiste l’y a autorisé.
- L’artiste a autorisé l’antiquaire à vendre ses tableaux.
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- Le juge a ordonné à l’éditeur de retirer les livres incriminés.
C. P. : Le juge le lui a ordonné (et non : le juge lui en a ordonné…).
- Le juge a ordonné à l’éditeur de retirer les livres incriminés.
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La méthode ne donne malheureusement pas les corrections – ni ne clarifie ces cas précis dans sa partie didactique.
Je ne vois pas d’explications possibles à ces usages, et je crois qu’il faut considérer les cas des verbes INTERDIRE et ORDONNER comme des exceptions pour ces formulations. Peut-être y en a-t-il d’autres ? Qu’en pensez-vous ?
Vos quatre réponses sont certainement les bonnes, et il n’y a pas vraiment d’exception. Il faut juste prendre en considération qu’un COD peut être un infinitif introduit par « de ».
— Les critiques se sont excusés d’avoir blessé les artistes.
— Les critiques se sont excusés de cela. Le complément est COI introduit par « de ».
— Les critiques s’en sont excusés.
Exemple plus général, sans verbe pronominal : — Je lui ai parlé de cela. Je lui en ai parlé.
— La justice a interdit à l’humoriste de jouer son spectacle.
— La justice lui a interdit cela. Le complément est COD.
— La justice le lui a interdit.
— L’artiste a autorisé l’antiquaire à vendre ses tableaux.
— L’artiste l’a autorisé à cela. Le complément est COI introduit par « à ».
— L’artiste l’y a autorisé.
[Note : la forme « l’artiste lui a autorisé cela », « l’artiste le lui a autorisé », est également possible et relève d’une autre construction en concurrence (autoriser une chose à quelqu’un) ; la double possibilité peut parfois être source de confusion]
Exemple plus simple : — Il s’est engagé à faire un truc, il s’est engagé à cela, il s’y est engagé.
— Le juge a ordonné à l’éditeur de retirer les livres incriminés.
— Le juge lui a ordonné cela. Le complément est COD.
— Le juge le lui a ordonné.
Les deux exemples qui vous chagrinent sont le 2 et le 4. Ce sont deux cas où le COD est un verbe à l’infinitif introduit par « de ». La méthode consistant à remplacer le complément par « de cela » ou par « cela » permet de faire la part entre COI et COD.
Le « de » introducteur est fréquent avec un infinitif, dans différentes constructions (comme sujet, comme sujet réel dans une construction impersonnelle, comme COD, comme infinitif apposé) : c’est plaisant de travailler ici, de travailler ici me plaît, le fait de travailler ici me plaît, travailler ici me plaît, ça me plaît de travailler ici, il me demande de travailler ici, il m’interdit de travailler ici…
Voici une note de quelques pages sur le sujet, par l’universitaire Reza Mir-Samii, qui tente une explication sémantique. Ce point est abordé dans beaucoup de grammaires. On peut noter aussi que comme simple introducteur d’infinitif, le mot « de » ne doit pas être qualifié de préposition, pour éviter toute confusion. Enfin, on peut le rapprocher de l’introducteur anglais « to », dans « to be or not to be », qu’on aurait pu traduire « d’être ou de ne pas être ».
Votre explication est limpide, je vous en remercie.