Je t’ai vu/vue

Bonsoir, dans la phrase suivante, comment accorderiez-vous, et pourquoi ?
« Je t’ai vu te défendre »
Ou
« Je t’ai vue te défendre »
« T' » étant, bien entendu, féminin.
Merci les érudits !

Laury20 Amateur éclairé Demandé le 28 janvier 2024 dans Accords

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2 réponse(s)
 

Je t’ai vue te défendre
C’est bien « te » qui a été vue : j’ai vu toi (en train d te défendre).
« Te » est bien le COD placé avant le verbe et le participe passé s’accorde avec lui parce qu’il est accompagné de avoir

Tara Grand maître Répondu le 29 janvier 2024

Vous connaissez probablement la règle de l’accord du participe passé avec le COD antéposé :
— Je les ai vus. Je t’ai vue.
— Je leur ai parlé. Je t’ai parlé.
Les pronoms de la deuxième personne du singulier étant identiques dans leurs formes COD et COI, on peut passer par exemple à la troisième personne du pluriel pour repérer si on a un COD (les/te), auquel cas on accorde, ou un COI (leur/te), auquel cas on n’accorde pas.

Peut-être connaissez-vous également la règle de l’accord du participe passé suivi d’un verbe à l’infinitif.
— J’ai vu Marie cuisiner des patates
Le COD de « voir » (qu’est-ce que j’ai vu ?) est la proposition infinitive entière « Marie cuisiner des patates ». En aucun cas le COD de « voir » ne peut par magie devenir un unique élément de cette proposition. C’est cependant le raisonnement arbitraire demandé pour déterminer l’accord.
Cette phrase peut être reformulée avec un pronom, de différentes façons :
— Je les ai vu cuisiner (les patates) (par Marie) / Je les ai vu cuisiner
–> (on considère arbitrairement que le COD de « voir » est devenu « cuisiner »)
— Je l’ai vue cuisiner des patates (Marie) / Je t’ai vue cuisiner des patates
–> (on considère arbitrairement que le COD de « voir » est devenu « la » mis pour « Marie »)
— Je lui ai vu cuisiner des patates (à Marie) / Je t’ai vu cuisiner des patates
–> (on considère arbitrairement que le COD de « voir » est devenu « cuisiner des patates »)
L’idée est que pour accorder un participe passé suivi d’un infinitif avec le pronom antéposé, il faut à la fois qu’il soit l’agent de l’infinitif, et de forme COD. C’est bien sûr totalement arbitraire.

Quand le verbe à l’infinitif est essentiellement pronominal, l’accord est habituel :
— Je les ai vus s’envoler. Je t’ai vue t’envoler.

Quand la construction pronominale est accidentelle et résulte de la conjugaison réfléchie d’un verbe transitif, on peut théoriquement conserver le choix de l’accord.
La construction transitive :
— Je n’ai jamais vu Marie défendre ses amis
— Je ne l’ai jamais vue défendre ses amis / Je ne t’ai jamais vue défendre tes amis
— Je ne lui ai jamais vu défendre ses amis / Je ne t’ai jamais vu défendre tes amis
devient formellement à la forme pronominale :
— Je n’ai jamais vu Marie se défendre
— Je ne l’ai jamais vue se défendre / Je ne t’ai jamais vue te défendre
— Je ne lui ai jamais vu se défendre / Je ne t’ai jamais vu te défendre

J’ai insisté sur la possibilité de l’usage d’un pronom COI suivi d’une complétive infinitive COD, afin de montrer qu’il semble parfois nécessaire de conserver formellement la proposition infinitive comme COD. Mais même quand on choisit un pronom antéposé de forme COD, il ne devient pas magiquement COD, et il y a une grande logique à se dispenser d’un l’accord qui altérerait le sens.
— Je lui ai vu cuisiner des patates / Je t’ai vu cuisiner des patates
— Je l’ai vu cuisiner des patates / Je t’ai vu cuisiner des patates
— Je ne lui ai jamais vu se défendre / Je ne t’ai jamais vu te défendre
— Je ne l’ai jamais vu se défendre / Je ne t’ai jamais vu te défendre
Avec « vu », l’utilisation d’un pronom de forme COD mais ne jouant pas le rôle syntaxique d’un COD, c’est à la fois l’ancienne écriture (celle de Racine ou Vaugelas) et une écriture actuelle (celle proposée par quelques grammairiens et souvent constatée dans les journaux).

Pour votre phrase,  l’enseignement scolaire actuel oriente vers le choix de « je t’ai vue te défendre », comme si le pronom « te » était obligatoirement COD, et à lui seul COD, du verbe « voir ». C’est dommage dans la mesure où cela évoque trop clairement une personne qu’on voit et qui se défend, alors qu’il est probable que le sens de votre phrase est tout autre, et que « je t’ai vue te défendre » veut dire pour vous « j’ai vu que tu te défendais« , donc avec un COD qui est clairement une proposition entière et non son seul agent. Hélas, les règles enseignées actuellement obligent à déformer l’intention de l’auteur pour lui faire dire « je t’ai vue pendant que tu te défendais« , ce qui est un parfait contresens.

Avec le temps, on va certainement démonter cette règle qui ne fonctionne pas et ne rime à rien.
— Je t’ai fait te rappeler que… –> il est admis depuis « toujours » que le pronom « te » n’est pas COD de « faire »
— Je t’ai laissé te défendre –> c’est seulement depuis 1990 qu’il est reconnu que le pronom « te » avant « laissé » n’en est pas ici le COD
— Une coupe qu’on eût cru venir de l’Orient –> même le Grevisse reconnaît le bienfondé de l’absence d’accord quand « on est contraint de considérer que l’objet direct est la proposition infinitive »
— Une méthode qu’on a vu progresser ces dernières années –> normalement tout le monde comprend qu’on n’a pas vu une méthode, et que cette méthode progressait ; seuls quelques profs de collège et quelques manuels scolaires raisonnent ainsi, prétendant qu’ils ont vu une méthode en train de progresser. L’invariabilité au participe « vu » est très fréquente dans l’usage quand on a manifestement affaire à une fonction auxiliaire du verbe « voir ». Je vous déconseille l’invariabilité en examen, mais je vous la conseille dans vos écrits personnels. La nécessité de l’invariabilité d’un participe passé dont le COD est une proposition sera un jour reconnue.
— Marie, je t’ai vu venir –> Contrairement à l’exemple précédent, il est vrai ici que j’ai pu te voir, et que tu venais. Le sens concret est admissible, mais le sens réel est évidemment que j’ai vu ta venue, et non que j’ai vu toi tandis que tu venais. L’accord est, là encore, à la fois absurde et obligatoire.

Dans « je t’ai vue te défendre« , accordez pour ne pas perdre de points aux examens, mais le simple fait que des milliers de personnes relèvent le caractère illogique de l’accord montre que l’accord du participe passé « vu » avec l’agent de l’infinitif est un contresens quand le COD est en réalité une proposition entière.

CParlotte Grand maître Répondu le 29 janvier 2024

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