RE: vu ou vue ?
Bonjour,
Dans le roman de Patrick Modiano « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier », cette phrase me titille :
« Par la fenêtre, il l’avait vu s’éloigner vêtue de sa chemise et de son pantalon noirs. »
Vu ne doit-il pas s’accorder avec l’ qui est féminin ??
Merci d’avance
Patrick Modiano a-t-il fait une faute ou pas ; la question, simple en apparence, est en réalité très complexe.
La règle est que le participe passé conjugué avec avoir et suivi d’un infinitif s’accorde avec le complément d’objet direct qui précède lorsque ce complément se rapporte au participe, c’est-à-dire, de façon pratique, lorsqu’il fait l’action exprimée par le verbe à l’infinitif (faire fait exception) : les violonistes que j’ai entendus jouer étaient des virtuoses.
Selon la règle donc, Patrick Modiano aurait dû écrire : « Par la fenêtre, il l’avait vue s’éloigner vêtue de sa chemise… »
Cependant, Grevisse, dans le Bon usage, fait cette analyse subtile : « Nous avons donné […] la règle reçue, et il vaut mieux s’y tenir. Mais son fondement n’est pas assuré. Dans Je les ai vus partir, on pourrait considérer que le véritable complément d’objet est la proposition infinitive [infinitif avec son sujet].
En tout cas, l’usage est hésitant, et plus d’un auteur laisse le partic. invariable dans tous les cas, conformément à l’analyse que nous venons de donner : […] Il avait vu les mitraillettes braquées sur lui, les avait entendu tirer (Malraux) […] Lorsqu’elle eut retrouvé ses esprits, on l’avait entendu murmurer (M. de Saint-Pierre) […] Les dictionnaires sont ou devraient être le reflet de la civilisation qui les a vu naître (G. Matoré) » (le Bon usage, § 951).
Patrick Modiano a-t-il été conscient de cette dernière analyse et laissé volontairement vu invariable ou a-t-il commis une incorrection involontaire ? Lui seul peut répondre. En toute humilité, il vaut mieux admettre que c’est un choix et accepter, en ce qui concerne Patrick Modiano, Par la fenêtre, il l’avait vu s’éloigner vêtue de sa chemise…
Ce sujet du choix du complément d’objet est très complexe,, et n’étant ni Flaubert ni Malraux (ni Modiano), la prudence me dicte de m’en tenir à la règle.
