RE: Peut-on suivre son empathie ?
Bonjour,
Cette phrase me semble bizarre et incorrecte :
Simone et son grand cœur, elle n’a pas eu d’autres choix que de suivre son empathie, et de dire oui, chose pour laquelle je ne peux pas lui en vouloir, bien au contraire.
En d’autres termes, je comprends que du haut de son bon cœur et parce que c’est une personne empathique, Simone s’est sentie obligée d’accepter.
Si je me réfère au dictionnaire de l’académie, je trouve les définitions suivantes :
Suivre : s’abandonner à, se laisser conduire par.
Empathie : capacité de s’identifier à autrui, d’éprouver ce qu’il éprouve.
Du coup, le propos pourrait passer pour correct et pourtant, j’ai des doutes.
Je vous remercie par avance de votre aide.
Bonjour,
Peut-on suivre ses sentiments ? Assurément, oui ! L’expression est banale. Pourtant, il est rare que l’on utilise ce verbe lorsque le sentiment est précisément identifié. On se laisse plutôt entraîner par sa colère, submerger par sa tristesse et on ne suit guère sa joie, on la laisse éclater.
Peut-on suivre sa raison, son raisonnement ? Tout autant ! mais, le plus souvent, cette formulation demeure aussi exprimée comme un principe général.
L’empathie est-elle un sentiment ou un raisonnement ? Est-ce une réaction émotionnelle qui nous permet de nous co.nnecter à autrui, une fonction essentielle et naturelle que nous partageons avec les animaux ? Est-ce une construction cognitive qui nous permet de comprendre les mécanismes émotionnels d’autrui comme apprennent à le faire les professionnels de la psyché, mais également les comédiens ? Selon le contexte, le sens donné au terme empathie relève plutôt de l’un des deux aspects, ou un peu des deux.
Fort heureusement, en français, aucun auteur ne se contente des seuls syntagmes consacrés. Quel sens aurait la création littéraire si elle se réduisait à des lieux communs. Alors « suivre son empathie« , pourquoi pas ? Le succès de l’invention se joue alors à quitte ou double, le risque étant de créer un trouble, une incompréhension de sens, de perdre le lecteur dans la confusion. Personnellement, je partage votre impression, je trouve que cette phrase est mal écrite, qu’elle gagnerait à être plus sobre en laissant carrément tomber l’empathie : « Simone et son grand cœur, elle n’a eu d’autre choix que de dire oui, chose pour laquelle je ne peux pas lui en vouloir, bien au contraire ! » A-t-on réellement perdu quelque information ? Et si l’on tient à l’empathie, il n’y a qu’à la mettre à la place de « grand coeur » « Simone, avec son empathie, elle n’a eu d’autre choix que de dire oui, chose pour laquelle je ne peux pas lui en vouloir, bien au contraire ! »
Vous demandez très justement si on peut suivre ses sentiments ?
Eh bien non. La raison en est que le verbe « suivre » ici évoque une volonté délibérée. On suit son idée, ses penchants, son intuition, son premier mouvement… c’est à dire qu’il y a décision de s’y conformer.
Une émotion, un sentiment, s’impose au sujet qui n’a pas le loisir de décider si oui ou non il suivra sa colère, sa joie, …, son empathie.
Et si cette expression « suivre son empathie » nous « gêne », c’est à dire si on la sent fausse, c’est parce qu’on entend bien ici « empathie » comme un ensemble d’émotions et de sentiments.
Suivre ses sentiments, c’est choisir d’agir selon la « raison » du coeur.
« Mais, heureusement pour la Béjart, leur troupe ayant obtenu la permission de s’établir à Paris, par la seule considération que l’on avoit pour Molière, il fut plus libre qu’il n’avoit été de suivre ses sentiments, et il épousa la petite Béjart. » (Les intrigues de Molière et celles de sa femme [pamphlet]) »
« Wolfgang répond qu’en ces matières-là chacun est libre de suivre ses sentiments, et que, lui, il se laissera tranquillement fusiller. » (Baudelaire, Oeuvres posthumes)
« Quoi qu’il en soit, dans ce conflit israélo-arabe, si j’avais suivi mon sentiment, j’aurais détesté la prise de position de de Gaulle; mais rien ne peut faire que je ne discerne vers quel but il tend, et par quelles voies, et avec quels moyens médiocres. » (Mauriac, Le Nouveau Bloc-Notes 1965-1967)
