RE: genre du mot spécialiste
Bonjour,
j’ai un petit doute quant au genre du mot spécialiste à appliquer dans cette phrase :
« La société X est le (la) spécialiste français(e) de la distribution…
Merci de votre aide
Attention !
Sans être fautif, l’emploi du féminin dans le cas des épicènes peut amener des problèmes : « Qui est la spécialiste de la distribution ? Le groupe XXX ». Cela sonne bizarrement, non ? L’inverse en revanche passe sans problème.
C’est exactement le même cas que la féminisation forcée des titres et fonctions : il faut assumer derrière, car le discours est mouvant et on peut se retrouver dans des situations cocasses.
Une fois de plus, en français , le « masculin » se confond avec le « neutre », genre qui doit reprendre le dessus en cas de flottement (cf. plusieurs règles grammaticales d’accords).
Donc, « La société X est le spécialiste français de la distribution » me semble nettement préférable. D’ailleurs, les journalistes et commentateurs économiques privilégient nettement cette tournure.
La société est le spécialiste : voilà qui est bizarre ! Journalistes et commentateurs économiques ne sont pas les meilleures références en matière de langue ni pour les progrès quant à la féminisation des titres.
Comme sont épicènes bon nombre de titres de fonction et que les noms épicènes n’ont pas en soi une forme masculine ou féminine, c’est le déterminant (article ou autre) qui marquera explicitement le genre : chargé(e), responsable, spécialiste…
Pourquoi alors que « société » est féminin, vouloir accoler à un qualificatif épicène, un déterminant masculin !
J’en perds mon latin …
Quant au neutre, que vous donnez forcément comme masculin, je ne vois pas de quoi il est question… Peut-être une dentiste, une diplomate, une arbitre, etc.
Long et technique pour entrer dans tous les détails…
Mon expérience dans le monde économique me fait moins détester les journalistes que vous et il s’agit d’une pratique partagée par les meilleurs d’entre eux…
Le genre neutre (non marqué) est la base linguistique des langues indo-européennes. La différenciation (marquage du genre ou féminin) est venue postérieurement, et parfois tardivement dans le français. D’où une série de changements de genre dans l’historique étymologique, de mots qui se cherchent une identité, qui changent de sens selon le genre, dont le pluriel fait changer le genre. Les conventions régissant les genres et leur « grammaire » sont dans les plus complexes de la langue. Ce n’est pas un hasard et cela nourrit les championnats d’orthographe.
Dans le cas précis, on retrouve cette ambigüité.
On peut tout aussi bien écrire que « cette femme est un bon dentiste » que « une bonne dentiste« . Lorsque le genre est stabilisé, cela ne choque personne : cette femme est un bon chef-cuisinier ou un bon chef. Voulez-vous en faire une bonne cheftaine, une bonne chefesse ou une bonne cheffe (courant en Suisse) ? Lorsque le genre évolue de nos jours, on patauge totalement : Elsa Triolet est un auteur moins connu qu’Aragon devrait subitement devenir … une auteure moins connue qu’Aragon ? Elle en serait morte de rire… Même Mme de Beauvoir ne le revendiquait pas.
Vous l’avez déjà remarqué, je ne suis pas un « traqueur de normes » comme il s’en trouve tant sur les blogues de langue. Je considère souvent que les querelles orthographiques et même grammaticales sont vaines, surtout face aux autres problèmes que sont la déstructuration de la syntaxe, l’appauvrissement du vocabulaire, le manque de culture et de perspectives vis-à-vis d’un outil qui permet de comprendre tous les autres.
La correction professionnelle est devenue mon modeste gagne-pain et je ne crache pas dans la soupe que l’Académie et d’autres autorités ont le bon goût de nous préparer depuis des siècles. Mais comme auteur, je m’en fous un peu, ou en tout cas, c’est secondaire. Je dois plutôt, à chaque phrase, assumer des alliances de mots inédites, des ruptures de construction dans les phrases, des audaces sémantiques ou des raccourcis expressifs.
Pour la langue, nous sommes un peuple béni des dieux, et nous avons donc tout le temps de nous intéresser au sexe des anges et au genre des mots. Continuons ! On appelle cela « Les délices de Capoue » ou « Hercule aux pieds d’Omphale », c’est selon…
Ce que vous rappelez en début de commentaire est la vie de la langue, sa fluidité etc. J’ai réagi car je suis souvent en Allemagne où nous avons un genre « neutre » spécifique et stabilisé (das) en plus du féminin et du masculin, alors que cela n’existe pas en français.
A propos des normes, celles-ci évoluent et alors que l’on s’accorde à simplifier (par exemple, moins d’emploi du subjonctif imparfait), la féminisation suscite sarcasmes ou moues goguenardes. – Je ne vous vise pas personnellement bien sûr-.
L’emploi du mot « cheffe » est monnaie courante dans la plupart des institutions et collectivités territoriales où j’interviens en France et pas seulement en Suisse, et Simone de Beauvoir – morte en 1986 – se serait trente ans plus tard sûrement désignée « auteure ».
Vous savez que – sans conduire à des excès- la langue structure la pensée, donc peut-être un peu le statut de la femme qui parfois connaît des blocages dans les têtes des intéressées…
Les journaux allemands écrivent tous « Autorin » alors que seul « Autor » existait il y a trente ans. Il est vrai que le pays est dirigé depuis dix ans par une « Kanzlerin ». Notre mot « chancelière » ne désignait qu’un petit coussin ouvert d’un côté où l’on glissait les pieds pour les tenir au chaud.
Pour les épicènes, je pense que le féminin – correct, ce que vous notez vous-même-, est parfaitement opportun, l’oreille et la raison feront le reste.
