RE: Aucun pronom/adjectif indéfini
Bonjour à tous,
J’ai plusieurs questions concernant « aucun ». J’ai vu qu’il y avait eu un post sur ce sujet mais je n’y ai pas trouvé la réponse que je cherchais.
J’ai compris que l’on devait écrire :
je n’ai pris aucune décision.
Je n’ai pris aucunes vacances depuis 5 ans.
Mes questions sont les suivantes :
Dans la phrase : Des vacances ? Je n’en ai pris aucunes.
Ici, « aucunes » doit garder le S même si non suivi par le nom ?
Quelle est la fonction de « aucunes » ici ? S’agit-il d’un adjectif indéfini ou d’un pronom indéfini ?
La phrase suivante est-elle correcte ?
Des fiançailles ? Aucunes ne seront célébrées ici pour le mois à venir.
Je vous remercie d’avance et espère que vous pourrez m’éclairer.
Bonjour Nobuko,
Vous avez un peu fait le tour du problème, et je dirais que toutes vos phrases (des deux messages) sont bonnes, mais je vous propose quelques éléments plus formels, qui vous inciteront peut-être à faire la part des choses entre plusieurs points de grammaire que votre question soulève.
Vous demandez : quelle fonction : adjectif ou pronom ?
Vous avez raison de chercher les fonctions des mots, mais vous nous proposez comme réponses des natures (adjectif, pronom). La nature du mot « aucune » n’a pas en soi d’importance, elle n’est qu’un indice. L’adjectif utilisé adverbialement, le verbe transitif utilisé intransitivement, le substantif apposé servant d’adjectif, l’adverbe utilisé comme un nom… montrent que ces nomenclatures sont inutiles. À la limite, la nature sert à entamer un classement des mots, ou à faire découvrir des notions aux plus jeunes, mais la seule chose qui importe est la fonction syntaxique du mot dans la phrase.
Dans la phrase « j’ai deux stylos, un bleu et un rouge », « un bleu » peut être considéré comme un pronom suivi d’un adjectif ; ou comme un adjectif indéfini (déterminant), avec ellipse du nom (stylo), suivi d’un deuxième adjectif. On voit généralement « un » comme un pronom, mais les deux interprétations reviennent exactement au même.
— Des fiançailles ? Aucunes ne seront célébrées…
— Des vacances ? Aucunes ne pourront être prises en été.
— Des décisions ? Aucune ne pourra être prise avant…
Nous sommes dans ce cas. C’est parfaitement accordé. Pronom ou adjectif sans nom, c’est kif-kif. On dit plutôt que c’est un pronom, mais il se comporte exactement comme un déterminant sans nom, un adjectif indéfini avec omission du nom (mais on pourrait ne pas omettre le nom)… Et sa fonction est ici : sujet.
Dans les autres exemples, vous voulez en fait savoir si le mot sert de complément à un autre (ce que vous appelez adjectif) ou s’il est autonome et porte une fonction dans la proposition par-lui même (ce que vous appelez pronom), on avait bien compris, mais ça va mieux en le disant. Ci-dessous j’utiliserai parfois les mêmes mots que vous.
Vous n’avez pas demandé : avec le pronom cod « en », n’y a-t-il pas une contradiction flagrante entre la règle de non-accord du participe passé et la règle selon laquelle l’adjectif s’accorde avec le sens de l’élément auquel il se rapporte ? On la voit par la proximité du participe non accordé parce que « en » est partitif donc singulier, et de l’adjectif au pluriel parce que quand même c’est du pluriel.
— Les stylos ? je les ai choisis bleus.
— Des stylos ? j’en ai choisi un, j’en ai choisi un bleu.
— Des stylos ? j’en ai choisi deux, j’en ai choisi deux bleus, j’en ai choisi qui sont bleus.
Eh bien oui, il y a d’abord deux règles arbitraires que vous maîtrisez apparemment parfaitement, celle de l’accord du participe passé avec le cod antéposé, et l’exception à cette règle quand le cod est « en » ; et ensuite une règle logique, celle de l’accord de l’adjectif avec ce qu’il qualifie ou détermine.
Il suffit d’appliquer ces trois règles, aussi absurdes que soient les deux premières.
Donc surtout, n’accordez pas le participe passé, parce que « en » est singulier. Mais plus important encore, accordez l’adjectif, parce que finalement « en » porte un sens pluriel.
On aimerait chercher une logique (et vous avez commencé à le faire) en disant que le vrai cod est derrière le verbe, que « deux » est ici un pronom postposé (tandis que « en », puisqu’il faudra bien lui chercher une fonction, ne serait qu’un complément signifiant « parmi ceux-ci »), mais le dernier exemple (j’en ai choisi qui sont bleus) montre que ce n’est pas une bonne explication puisque rien dans cette proposition ne peut passer pour un vrai cod. Et comme vous le dites, « que représenterait alors le mot en ? », puisque nous avons tellement l’habitude de le considérer comme le cod grammatical.
Si on est certain que le mot (aucun, un) ne se réfère à aucun autre mot de la phrase, on peut bien l’appeler pronom cod (un déterminant sans substantif), mais ce n’est pas le cas ici, conservons-lui donc sa fonction de complément du mot « en ». L’adjectif numéral « deux » s’appliquant à « en », il n’est manifestement pas autonome (pas pronom) mais complément de « en » (adjectif). Le pronom « en » est bien cod, et ce qui suit le verbe est bien un adjectif, un déterminant, une relative déterminative, ou qu’importe, mais en tout cas complément de ce mot « en ». C’est ainsi que dans l’exemple ci-dessous, « aucunes » est un adjectif si vous considérez que « en » est cod.
— Des vacances ? Je n’en ai pris aucunes.
C’est idiot mais c’est bon.
Sur le pluriel en début de phrase.
— Des décisions ? aucune n’a été prise, une seule a été prise, trois ont été prises… je n’en ai pris aucune, j’en ai pris une seule, j’en ai pris trois, j’en ai pris qui t’étonneront.
Le début de votre phrase lui donne du sens, mais il y a une claire rupture syntaxique à la ponctuation. Le pronom « en » représente ce que vous souhaitez qu’il représente dans votre proposition principale. Ce n’est pas du tout un pronom qui « reprend » formellement le mot précédent. Il ne faut pas se focaliser sur cette question, ces ruptures sont très fréquentes et justifiées par une évolution de sens entre le début et la fin de la phrase (on envisageait le pluriel au départ mais c’est le singulier qui est affirmé par le verbe principal de la proposition, et c’est la proposition qui doit être syntaxiquement bien constuite).
Vous demandez : aucune ou aucunes ?
Puisque le pluriel est fortement déconseillé quand on peut s’en passer, n’utilisez le pluriel que quand le sens du mot l’exige. Mais dans tous les cas utilisez les principes ci-dessus. Si l’adjectif est au pluriel, le pronom sera au pluriel, puisqu’au fond, syntaxiquement, c’est la même chose.
Cette difficulté classique mais assez simple sur le mot « aucun » a été mêlée au problème du rapport avec le pronom « en » parce que « aucun » est un mot que vous avez trouvé qui peut être singulier ou parfois pluriel, adjectif ou pronom.
Mais pour décomposer la question, on aurait pu poser la question avec deux mots différents : « un » et « plusieurs ».
— Des stylos ? J’en ai choisi un.
-> « un » est-il un adjectif numéral (servant de déterminant) ou un pronom ?
— Des stylos ? J’en ai choisi plusieurs.
-> « plusieurs » est-il un adjectif (servant de déterminant) ou un pronom ?
J’aurais fait la même réponse : comme il y a déjà le cod « en », « un » et « plusieurs » ne sont pas des mots qui ont par eux-mêmes une fonction de cod, ils ne sont donc qu’adjectifs-déterminants du pronom « en ».
Pour continuer votre enquête, plutôt que de multiplier les exemples et les cas particuliers, d’utiliser le mot assez exceptionnel « aucun » qui s’accorde rarement mais parfois quand même, de présenter des phrases qui commencent au singulier et se terminent au pluriel, de prendre pour exemple des expressions qui peuvent modifier l’approche syntaxique (prendre des vacances), de juxtaposer le problème avec celui du participe passé avec l’auxiliaire avoir… je vous conseillerais de poser la question très simple, ici ou à vos livres :
Dans « des livres, j’en lis plusieurs », quelle sont la nature et la fonction des mots « en » et « plusieurs » ?
Je crois que le nœud est là : « en » est-il un pronom, mis pour quoi ? « plusieurs » est-il un pronom, mis pour quoi ? « plusieurs » est-il un adjectif ? « en » est-il cod ? « plusieurs » est-il cod ? « en » est-il partitif ou global ?
Vous croiserez alors des linguistes qui vous diront que « en », quand il est partitif, n’est pas un vrai cod, et que le cod est à suivre sous forme de complément exprimé, pronom ou autre, voire de complément sous-entendu accompagné de son adjectif ; et que quand « en » est réellement cod, il n’est pas partitif, et que les accords (participe passé comme adjectif) devraient logiquement se faire au pluriel. Les règles actuelles sont un peu bâtardes.
Très intéressant Juliette. D’excellentes pistes de réflexion.
