RE: Accord du participe passé des verbes tels que « marcher, régner, dormir, parler etc. »
Bonjour à tous,
J’ai une analyse à soumettre pour avis. Je pense que celle-ci va faire chavirer le nœud papillon de quelques déterministes ! 🙂
En principe, le participe passé des verbes tels que « régner, dormir, parler, marcher etc. » est invariable car il s’agit de verbes intransitifs. Du moins lorsqu’ils sont utilisés dans leur sens propre. Je pense que le participe passé de ces verbes utilisés dans un sens figuré peut varier.
Exemples au sens propre :
– Les nuits que j’ai dormi à l’hôtel
(sens propre, on sous-entend les nuits pendant lesquelles)
– Les heures que j’ai parlé hier soir
(sens propre, les heures pendant lesquelles)
– Les années que j’ai régné en France
(sens propre, les années pendant lesquelles)
Exemples au sens figuré :
– Les nuits que j’ai dormies ont été éprouvantes
(sens figuré, il ne s’agit pas du temps ni des nuits en elles-mêmes mais du vécu de ces nuits, de l’expérience, du sentiment)
– Ces centaines d’heures que j’ai parlées (exemple cité par le Bon usage P 947 R3)
(sens figuré, même chose)
– Les années difficiles que j’ai régnées en France
(sens figuré, même chose sentiment, expérience etc.)
Pour appuyer ce raisonnement, le Bon usage admet tant l’accord du participe passé du verbe « vivre » que son invariabilité. On peut tant écrire » Les heures qu’il avait vécu loin de Dieu » que » Les heures qu’il avait vécues loin de DIeu ».
En effet, « vivre » est traité par beaucoup de grammairiens comme un verbe transitif signifiant « passer, mener » quand on envisage, non pas la durée en elle-même, mais la nature, la qualité de ce qui a été expérimenté au cours de cette période. Mais dans ce cas, certains grammairiens répugnent à considérer qu’il s’agit d’un véritable objet direct.
P 947 b
De la même manière, le Bon usage admet l’utilisation du participe passé du verbe »dormir » passivement. P 947
– Las d’une nuit mal dormie
– Cette nuit étant la plus courte de l’année, elle ne valait pas la peine d’être dormie
Dès lors,(Bon usage) il ne serait pas impossible d’écrire :
– Les trois nuits que j’ai mal dormies
Pour les passionnés de la langue française ! Comme quoi, tout est discutable sur la transitivité d’un verbe ..
Bonjour Tony, les exemples que vous donnez dans votre analyse reposent sur quatre verbes : parler, vivre, dormir et régner. Parler et vivre sont à mettre à part car ils admettent tous les deux une forme transitive (parler une langue, vivre une expérience) et dès lors la discussion n’est plus la même (leur participe passé accordé existe). Concernant les deux autres (dormir et régner), je dirais simplement qu’aujourd’hui ils n’existent que sous la forme intransitive et que par conséquent l’accord de leur participe passé (comme dans les années que j’ai régnées, les nuits que j’ai dormies) est fautif. Les exemples cités par Grevisse correspondent peut-être à des formes qui ont existé à une certaine époque et sont aujourd’hui désuètes, ou à des libertés prises par certains auteurs pour faire un effet de style, ou peut-être à des régionalismes, que sais-je… Mais aujourd’hui et dans des conditions « normales », il ne faut pas les employer.
Bonjour Christian,
Merci pour votre analyse.
Il est vrai que l’accord du participe passé des verbes régner et dormir pourrait paraître choquant. Mais dans certains contextes, je trouve que l’accord représente mieux la situation que vit l’auteur. Bien que cela resterait de la pure théorie, on est bien d’accord.
Mais pour rejoindre ce raisonnement : En principe, le pp de ces quatre verbes (se rire, se plaire, se déplaire et se complaire) est invariable.
Exemples :
– Elle s’est déplu dans ce lieu
– Les travaux où elle s’est complu
Cependant, plus d’un auteur fait variable le pp de ces verbes :
– Chez tous elle s’était PLUE à éveiller l’amour (A. Maurois)
– Presque jamais les hommes ne s’étaient COMPLUS à un aspect aussi barbare […] (Aragon).
J’ai cité quelques exemples du Bon usage. Bon, il s’agit là de verbes pronominaux, c’est un tout autre sujet. Mais des grammairiens acceptent l’accord notamment Littré. C’est pour dire que parfois la transivité ..
Cependant, je suis d’accord avec vous, ces formes sont peu utilisées aujourd’hui et mieux vaut suivre le principe général.
C’est un point intéressant que vous soulevez et qui mériterait une discussion à lui tout seul… En effet, je n’ai jamais vraiment compris pour quelle raison le fait qu’une tournure a priori fautive ait un beau jour été utilisée par un « grand » écrivain semble la rendre de facto (voire ipso facto) admissible. Est-il à ce point inconcevable que ces personnes puissent ne pas être infaillibles et commettre de temps en temps une erreur ? Quelle haute autorité décide du niveau de notoriété d’un auteur à partir duquel ses erreurs deviennent des exemples à suivre ? La jurisprudence existe-t-elle en grammaire ? J’imagine tout à fait le dialogue :
L’éditeur : s’cusez-moi, m’sieur Maurois, j’crois ben qu’vous avez fait une faute, là, à « elle s’était plue », m’semblions ben qu’y faut pas y met’ d’ ‘e’ à la fin…
Maurois : Comment ? Une faute ? Impertinent personnage ! Sachez que le grand André Maurois ne fait jamais de fautes ! Ecrivez tout de suite à Grevisse, Littré et les autres pour les informer qu’à partir de dorénavant, on a le droit d’écrire « elle s’était plue » avec un ‘e’ à la fin. Ah, et tant que vous y êtes, qu’ils y rajoutent aussi « ils s’étaient complus », c’est Aragon qui vient de m’envoyer un texto…
L’éditeur : oui m’sieur Maurois, tout d’suite m’sieur Maurois, pardon m’sieur Maurois…
(Il sort, honteux et confus).
J’ai bien aimé votre imagination du dialogue Christian ! Vous êtes très fort 🙂
J’avoue que votre point de vue est convaincant. Si ça se trouve, c’étaient des erreurs reprises en voulant faire une certaine jurisprudence grammaticale.
Cependant, que diriez-vous entre ces deux phrases ?
– Chez tous, elle s’était déplue elle-même à éveiller l’amour
Ou
– Chez tous, elle s’était déplu à elle-même à éveiller l’amour
Je trouve la première plus naturelle ..
J’aurions ben du mal, pardon, j’aurais bien du mal à répondre car je sais que grammaticalement la première est incorrecte (elle s’est déplu doit rester invariable quel que soit le contexte), mais personnellement je trouve que ce n’est pas logique (ou si vous préférez, je trouve comme vous la première avec l’accord plus « naturelle »). Pour moi, se plaire (ou se déplaire, se complaire) est bien un verbe essentiellement pronominal car le sens de « se plaire » n’est évidemment pas celui de « plaire à soi-même ». En tant que tel, il faudrait donc faire l’accord. Mais comme ce n’est pas l’avis de l’Académie et que je n’ai pas l’honneur d’être un écrivain illustre, je m’en tiens à la règle applicable au commun des mortels. Mais ça m’embête bien… 😡
Christian,
Je vous joins l’article de Littré. lequel a fait débat entre grammairiens. Les avis sont partagés, donc vous pouvez accorder en toute bonne conscience ! (Ce que je ferai dorénavant)
http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/definition/complaire/14677
Si vous n’arrivez pas à ouvrir le lien, tapez dans la barre de recherche « verbes pronominaux ». J’avais déjà fait un post à ce sujet qui avait fait débat. Les avis sont partagés et l’article y figure.
Dans cette phrase, j’accorderai :
– Chez tous, elle s’était déplue à éveiller l’amour
Il va sans dire (et mieux en le disant) qu’en cas de pronominal réciproque l’accord ne se fait plus, le pronom étant C.O.I. :
– Elles se sont plu au premier coup d’œil.
Cela me fait plaisir que Littré soit de mon avis 😉 , cela dit je ne me risquerais pas à transgresser la règle officielle dans une dictée de concours, par exemple. C’était notamment un grand classique des dictées de Bernard Pivot (finale 1997, demi-finale 2004) et l’accord y était systématiquement compté comme une faute. Mais dans d’autres contextes moins stricts je me complairai volontiers à faire l’accord…
Christian,
Si dans un concours officiel on me compte l’accord comme fautif, je demande l’arbitrage de l’autorité judiciaire ! Peut-être qu’un juge fera enfin une jurisprudence à ce sujet ! Mais vous avez raison 🙂
