RE: Le subjonctif imparfait a-t-il jamais existé ?
Ma question est adressée aux historiens de la langue plutôt qu’aux grammairiens. Je viens de lire La Panthère des Neiges dont la narration est écrite au passé. Lorsque le subjonctif est requis, l’auteur, qui est un érudit, emploie l’imparfait de manière sélective : presque toujours lorsque le verbe est du 3e groupe, jamais quand il est du 1er groupe. Je me suis donc demandé si ce subjonctif imparfait reflétait l’usage linguistique d’une époque ou s’il s’agissait d’une théorisation de grammairien que quelques précieux se sont ensuite appliqués à utiliser. Il est vrai que : « Il fallut que nous repassassions tous les sujets au programme afin qu’elle pût se présenter à l’examen sereine. » sonne très artificiel !
Quelques pensées à la volée :
– La France a été le premier pays à se doter d’une autorité (royale !) en matière de normalisation de la langue et a toujours eu de hautes ambitions à ce sujet. Le système de « concordance des temps » en est un bon exemple et il a fallu le déployer jusqu’au bout en créant ce qui n’existait pas spontanément dans la langue courante, notamment cet imparfait du subjonctif. Sur le principe, c’est le résultat d’une cogitation technique de longue haleine, pas une émanation spontanée.
– Les désinences les plus visibles, celles du 1er groupe en -asse, -assions, -assiez, ont été conçues pour bien les différencier, mais sans antécédents, notamment latins. Elles étaient destinées essentiellement à l’écrit, domaine de prédilection de l’Académie qui ne s’est jamais préoccupée de la pratique orale. Que ces mots soient imprononçables ou risibles, peu lui challait (imparfait de chaloir) !
– Les écrivains, pour qui le dispositif était conçu, ne s’en sont jamais vraiment emparés. Pour ceux qui ont vécu Mai 68 (j’en suis), il y a même eu un rejet viscéral par les étudiants de cette forme assimilée à la culture bourgeoise et à une pensée coupée du réel. Depuis, de détournement humoristique en contournement littéraire, ce pauvre imparfait végète et moribonde (si j’ose). À une époque où tant de gens confondent un infinitif, un participe passé et un prétérit, peu de chances qu’il s’en remette…